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mercredi 12 mai 2010

Pour Béatrice : "La Dame d'or"

Avant de revenir à Marsac, je vous propose un petit détour en Limousin, à Saint-Yrieix-la Perche, où j'avais assisté en juillet 2002 à un championnat d'orpaillage. Ma visite sur les lieux m'avait inspiré cette nouvelle que je vous livre aujourd'hui, en espérant qu'elle vous distraira. Je vous demande toute votre indulgence car il s'agit d'un de mes premiers textes, je ne l'ai pas retouché et il est assez maladroit. Comme cette histoire est un peu longue, je vais la publier en trois épisodes. Voici le premier :
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LA DAME D’OR
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Aurélien Despars reposa en tremblant l’écouteur du téléphone. La nouvelle qu’on venait de lui apprendre, si elle se vérifiait, pouvait bouleverser sa vie.
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Le jeune homme habitait à Saint Yrieix La Perche, en Haute-Vienne, une maison ancienne à colombages dans le centre historique, tout près de la collégiale aux tours crénelées qui, telle une forteresse, dominait de son imposante majesté l’ensemble de la ville. Le climat était parfois rude aux alentours : en ce mercredi trois juillet, un imperméable chaudement doublé était nécessaire pour affronter le vent et la pluie. La campagne arédienne que le jour gris voilait d’un rideau de fines gouttelettes portait les signes d’une humidité qui rafraîchissait encore un air déjà froid. Les vaches rousses se blottissaient les unes contre les autres dans les champs qui coloraient d’un camaïeu de verts le paysage mouillé, les fougères hautes sur les talus déroulaient leurs hampes et s’étalaient le long des routes bordées de châtaigniers aux feuilles luisantes, les maisons aux toits pentus de tuiles plates témoignaient de la présence abondante de la neige en hiver et les pommiers du Limousin, couverts de filets pour les préserver de la gourmandise des oiseaux, préparaient lentement leurs fruits que l’altitude parerait d’une appétissante joue rouge. Par endroits, des tas de troncs d’arbres coupés, soigneusement entassés, rappelaient le désastre de la tempête du millénaire. Cependant, malgré son austérité apparente, la région se révélait accueillante envers ceux qui s’y étaient installés, comme Héliodore Mac Graham, la meilleure amie d’Aurélien Despars.
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Héliodore Mac Graham, née d’un père écossais et d’une mère française, avait vu le jour dans la demeure ancestrale de Lord Mac Graham. Situé près du Loch Abergarry, Dunmay Castle surplombait une colline rocheuse que de vastes terres continuaient jusqu’au village de Kilmar Rock qu’une rivière aurifère traversait, d’où le nom de Goldstone Bridge attribué au pont qui l’enjambait. Aucun touriste n’avait jamais osé s’aventurer dans cette région pourtant magnifique, sauf une photographe qui recherchait l’éclat particulier d’une lumière à laquelle la masse mouvante des nuées, la vivacité de l’air et l’intensité des couleurs d’une nature presque irréelle à force de beauté donnait une pureté quasi divine. L’artiste avait poussé l’audace jusqu’à demander l’autorisation de prendre des clichés à l’intérieur de Dunmay Castle et même de réaliser un portrait en pied de Lord Mac Graham en compagnie de son fils Malcolm, unique héritier du domaine. Pour l’occasion, les châtelains revêtirent leur habit traditionnel, dont le kilt était réalisé dans un tartan à la fière géométrie de lignes rouges et jaunes entrecroisées de vert et de bleu. Lord Mac Graham s’était volontiers prêté au jeu, plus désireux de se lier d’amitié avec une Française bavarde et entreprenante dont les manières polies mais extravagantes l’amusaient énormément, que de poser pour la postérité. Le vieil homme encourageait les discours de son invitée d’un sourire qui illuminait son visage à peine marqué malgré les ans. Sa dignité naturelle, sa gentillesse, le goût de l’étude semblaient avoir effacé les rides qui, d’habitude, sillonnent une peau de soixante-quinze ans. Aucune flétrissure ne ternissait l’éclat de son regard empreint de bienveillance et d’un brin d’espièglerie qui ajoutait au charme de sa présence.
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Malcolm Mac Graham ressemblait à son père, mais avec parfois, dans son regard, une ombre de tristesse que ne parvenait pas à dissimuler la courtoisie de ses manières. Il n’avait jamais oublié la mort de sa mère alors qu’il était adolescent. Un jour de la fin du mois d’octobre, Lady Mac Graham dirigeait sa barque sur le Loch Abergarry, comme elle aimait à le faire chaque fois qu’elle ressentait le besoin de s’isoler. Un vent d’une violence extrême, inhabituel et inexplicable dans cette contrée, avait soulevé la surface du lac et fait chavirer la frêle embarcation dont la passagère s’était noyée. La tempête calmée, on avait recherché en vain le corps de Lady Mac Graham. On chuchotait à Kilmar Rock qu’une justice transitoire avait frappé la jeune et belle châtelaine, car on la soupçonnait d’avoir accordé ses faveurs au fringant régisseur chargé de l’entretien du domaine, Kenneth Inverholm. Peu importait aux villageois que cette rumeur fût fondée ou non. Les commentaires allaient bon train. Ils meublaient ainsi une vie que beaucoup trouvaient trop rude et monotone. Le bruit s’était amplifié lorsqu’on avait découvert, quelques jours plus tard, le cadavre de Kenneth Inverholm pendu à un arbre au bord du Loch. Ces morts successives ne constituèrent pas le seul événement de la tragédie. En effet, chaque année à la même période, les imprudents qui sortaient entre minuit et l’aube pouvaient entendre des lamentations et apercevoir, éclairées de la lueur blafarde de la lune, Lady Mac Graham sur sa barque et, sur le rivage, une forme humaine qui ressemblait à s’y méprendre au défunt Kenneth Inverholm. Était-ce seulement le cortège des voiles de brume et des ombres de la nuit au-dessus de l’eau qui s’accordait au souffle du vent dans les branches et aux effets d’un bon whisky ou s’agissait-il vraiment des fantômes des deux amants supposés ? Nul n’aurait su le dire. Mais la légende perdurait en dépit du mépris que Lord Mac Graham affichait pour toute cette histoire. Le décès de son épouse l’avait bien trop affecté pour qu’il acceptât de prêter l’oreille aux sous-entendus sournois des âmes malveillantes de Kilmar Rock. Il finit par ne plus quitter Dunmay Castle, sinon pour se rendre à Édimbourg. Il délégua la responsabilité du domaine à son fils Malcolm dès que celui-ci fut en âge de l’assumer.
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Malcolm avait beaucoup souffert de la disparition de sa mère. La présence féminine de la photographe française dispersa pour un temps les ombres de son ressentiment envers une existence qui s’était révélée si ingrate envers lui. Mais les revanches qu’on prend sur le passé restent teintées d’amertume. Malcolm épousa assez vite la jeune artiste qui, hélas, mourut à la naissance d’Héliodore. Fou de douleur, le châtelain refusa de s’occuper de l’enfant que, dans son égarement, il rendait responsable du décès de sa femme. Il accompagna Héliodore lors d’un unique voyage en France pour la confier à des parents adoptifs. C’est ainsi qu’Héliodore Mac Graham fut élevée au Chalard, un village médiéval situé à six kilomètres environ de Saint Yrieix La Perche. En grandissant, Héliodore devint l’amie d’Aurélien Despars. Elle lui confia son désir de découvrir l’Écosse et de connaître ce passé qui, bien que l’ayant rejetée, l’intriguait. Elle ne possédait aucune photographie de sa mère. Les seuls souvenirs qui auraient pu l’aider à tisser le fil de son histoire personnelle se trouvaient à Dunmay Castle et au bord du Loch Abergarry. Elle rêvait de s’y rendre et, en même temps, redoutait ce périple, car il est toujours plus difficile d’affronter ses propres chimères que la réalité.

12 commentaires:

Evelyne a dit…

Passionnant...mon beau-frère est écossais, et c'est une région que j'aimerais découvrir, si romantique !
Le 3 juillet m'évoque l'anniversaire de Camille.
Avez-vous publié ?
Pour une première nouvelle, c'est une réussite.
Merci et belle journée.

Marisol a dit…

Bravo Anne cette histoire palpitante m'a mise en haleine j'ai hâte de connaître la suite. Les lieux sont décrits avec saveur, les personnages attachants et hauts en couleurs. Une seule réserve l'accélération brutale lors du mariage du jeune lord et la naissance de la jeune Héliodore. J'étais tellement bien dans votre histoire que j'en ai été désappointée. Mais tout cela ne sert qu'à aiguiser ma curiosité.
Marisol

Anne a dit…

Merci Marisol, pour votre commentaire. Venant de vous qui écrivez si bien, cela me touche beaucoup. Bonne journée!
Anne

Anne a dit…

Merci beaucoup, Evelyne. Comme vous, je rêve de découvrir un jour l'Ecosse. Ce pays me fascine depuis très longtemps et j'aimerais le visiter.

Camille est née en début d'été: une bien belle saison, comme son sourire sur les photos d'elle que vous publiez. Je lui souhaite une très bonne journée ainsi qu'à vous.
Anne

D'Art en Arts a dit…

Bravo, Anne, c'est passionnant et si bien écrit !
Vite, la suite !
Bonne journée.
Norma

Anne a dit…

Merci et bonne journée à vous aussi, Norma.
Anne

Michelaise a dit…

Passionnant et romantique en diable cette histoire Anne... très bien écirte de surcroit, et tout à fait dans le ton "chevaleresque"... vite la suite... j'y cours

Anne a dit…

Merci de votre indulgence, Michelaise. Bonne lecture!
Anne

ELFI a dit…

une BELLE histoire, bien écrite..Anne tu as beaucoup de talent!
j'imagine BEA en fée gaélique....cheveux au vent..

Anne a dit…

Merci, Elfi Cella. Je te souhaite une très bonne journée.
Anne

VenetiaMicio a dit…

Quelle surprise à mon retour de retrouver ma chère Anne qui nous fait découvrir cette histoire, bien écrite, aux personnages déjà très attachants, j'ai hâte de lire la suite...
Vous avez beaucoup de talent, sincèrement je ne suis pas surprise, je savais que vous aviez des petits trésors à nous faire découvrir, je vais vite au 2e épisode.
Danielle

Anne a dit…

Merci Danielle, bonne lecture!
Anne